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La nuit, lorsque Frank De Winne, l’astronaute belge, survolait l’Afrique à bord de l'ISS, la Station Spatiale Internationale, voici ce qu’il pouvait apercevoir au travers de son hublot avant de revenir sur terre à la fin novembre 2009.
L’Europe est illuminée à giorno. En Belgique, même les autoroutes sont éclairées. L’Afrique, par contre, à l’exception de quelques points lumineux sur la côte méditerranéenne et en Afrique du Sud, baigne dans le noir. Le cœur de l’Afrique qui était terra incognita au XIXe siècle est devenu terra obscura à l’aube du 3ème millénaire. 87 % des ressortissants du continent, si on ne tient pas compte de ces zones privilégiées, ne disposent pas d’électricité et doivent s’éclairer à la lueur de lampes à pétrole. Et moi, je me trouve à l’épicentre de la région la plus sombre, dans un pays où à peine 5 % des habitants ont accès à l’électricité alors que les ressources potentielles en hydroélectricité de la République démocratique du Congo représentent 13 % — un huitième – des ressources mondiales et 60 % des ressources africaines. Des ressources inépuisables, non polluantes et dont les barrages n’entraîneraient pas le déplacement de millions de personnes comme en Chine, ni l’inondation de milliers de kilomètres carrés au détriment du biotope.
À population presque égale – 60 millions d’âmes –, la RDC produit 743 fois moins d’électricité que la France. En 2007, le Congo a produit 7,24 milliards de kWh contre 82,94 pour la Belgique qui est 80 fois moins étendue et 6 fois moins peuplée. Et la situation du pays ne fait que se dégrader depuis trois décennies comme le montre le diagramme ci-dessous. De 1974 à 2001, la chute a été de 42 % passant de 162,3 kWh par personne et par an à 85,1. Cela permet à peine de faire fonctionner une ampoule par personne pendant trois heures par jour. Une chute qui est à l’image de la dégradation de toutes les infrastructures du Congo pendant le règne de Mobutu et les guerres civiles qui s’en suivirent. Je vous rappelle qu’un kilowattheure correspond à 1000 watts utilisés pendant une heure. Par exemple, une ampoule de 75 watts consomme 75 wattheures d'énergie en une heure. De même, une ampoule de 100 watts utilise 50 wattheures en 30 minutes.
Une récente étude du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) met en évidence l’étroite corrélation entre l’extrême pauvreté et le manque d’accès à l’énergie. « Compte tenu des niveaux actuels d’accès à l’énergie, il est clair qu’il sera particulièrement difficile aux pays d’Afrique subsaharienne d’atteindre les Objectifs de développement du Millénaire » qui visent à diviser par deux la pauvreté d’ici 2015, estime Minoru Takada, responsable Énergie et Environnement du PNUD, cité par l’AFP. Dans les zones rurales des pays en voie de développement, 71 % de la population utilisent le charbon de bois à des fins domestiques au préjudice du couvert végétal. De plus, les émanations de ces combustibles occasionnent des maladies pulmonaires chroniques ou des cancers du poumon, responsables de 2 millions de décès par an. Voilà un autre enjeu à côté duquel est passé le Sommet de Copenhague.
« L'histoire des civilisations humaines est d'abord le résultat des progrès de la science et de la technique. Le reste suit. Et les développements comparés des pays sont les reflets des vitesses plus ou moins grandes mises à intégrer les nouvelles découvertes scientifiques ou inventions technologiques. A-t-on conscience que la puissance croissante de l'Amérique du XXe siècle et sa domination sur le monde prennent leurs racines dans un coup de génie d'un jeune émigré serbe, Nikolas Tesla, qui eut l'idée d'utiliser le courant alternatif pour transporter l'électricité sur de grandes distances, rendant disponible l'éclairage électrique à tout un chacun dans les grandes villes de la côte est ? » rappelle très justement Claude Allègre dans La science est le défi du XXIe siècle. Mais qui, même parmi les physiciens et les ingénieurs qui utilisent le tesla comme unité de mesure du champ magnétique, se souvient encore de cet inventeur génial de la fin du XIXe siècle qui déposa plus de 700 brevets ? C’est pourtant grâce à ses inventions, que nous exploitons toujours aujourd’hui, que la société Westinghouse put couvrir à partir de 1893 toute l’Amérique de lignes électriques et installer une centrale hydroélectrique sur les chutes du Niagara. La vapeur avait permis à l’Europe de s’industrialiser au XIXe siècle et de s’élancer à la conquête de la planète, l’électricité allait donner la puissance aux États-Unis d’Amérique, maîtres du XXe.
La lutte fut féroce entre deux savants narcissiques, Tesla et Edison. Ce dernier défendait le courant continu avec lequel il avait commencé en 1884 à alimenter la ville de New York grâce aux dynamos inventées par le Belge Zénobe Gramme. Mais les générateurs d’Edison ne délivraient qu’une tension trop faible pour être distribuée au-delà de deux kilomètres. Par contre, la tension sinusoïdale des alternateurs de Tesla pouvait être élevée par des transformateurs. Une tension de plusieurs milliers de volts permet de réduire l’intensité du courant et par conséquent le diamètre des fils conducteurs tout en diminuant les pertes qui, comme tout électricien le sait, sont proportionnelles au carré de l’intensité. Autre avantage du courant alternatif, les moteurs alimentés en triphasé sont plus économiques et plus robustes que les moteurs en courant continu.
L’Afrique est le continent le plus jeune de la terre et sa population vient de dépasser le milliard d’habitants. Mais il possède, comme le rappelle la Banque mondiale dans un récent rapport, « l’infrastructure la plus faible du monde, et pourtant les Africains paient dans certains pays deux fois plus pour les services de base que les habitants d’autres régions du monde ». L’état déplorable de ces infrastructures – routes, électricité, eau, etc. – coûte aux pays africains 2 % de croissance par an. Pour que le continent se développe dans les dix prochaines années, il faudrait y investir près de 100 milliards de dollars par an, dont près de la moitié dans le domaine de l’électricité. Un quart des habitants de la planète, soit 1,5 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’électricité.
L’économiste principal pour l’Afrique de la BM (Banque Mondiale), Vivien Foster, confirme qu’on devrait injecter 930 milliards de dollars sur 10 ans pour mettre les infrastructures de l’Afrique au niveau de l’Asie. Cette absence d’investissement réduirait la productivité des entreprises de 40 %. La Chine a très bien compris le problème et, au cours de ces dernières années, elle a dépensé 15 % de son PIB à développer ses infrastructures. Les Africains paient deux fois plus cher que les autres habitants du monde pour les services : par exemple, le kWh coûte de 0,02 à 0,46 dollar alors qu’il ne dépasse pas 0,10 dollar en Asie ou en Amérique latine. 40 % des investissements devraient aller à l’électricité, 25 % à l’eau et 18 % aux transports. Il faudrait créer 7 000 MW par an et construire des lignes pour transporter entre les pays cette énergie. Par suite de la gabegie qui règne dans les sociétés publiques africaines qui produisent l’eau et l’électricité, seulement 70 à 90 % des sommes facturées sont encaissées. Les effectifs sont de 2 à 8 fois plus élevés que dans les entreprises privées du même domaine des pays développés. Il faut donc impérativement privatiser toutes ces entreprises, car le secteur productif ne doit pas être du ressort de l’État, même si c’est à lui de fixer les règles du jeu. L’État doit se cantonner à ses préoccupations régaliennes comme les Affaires étrangères, la Défense nationale et l’Éducation.
Dans un pays qui m’est cher, la Côte d’Ivoire, Houphouët-Boigny et ses successeurs avaient bien compris que l’énergie électrique, comme la distribution de l’eau, devaient être confiées au secteur privé et non à des structures étatiques mal gérées. De plus, le secteur privé a accès à des sources de financement beaucoup plus dynamiques et plus facilement mobilisables que l’administration connue pour son gâchis. À Abidjan, dans les années 1990, la création d’une nouvelle centrale à gaz à cycle combiné de deux fois 150 MW fut attribuée, suite à un appel d’offres international, à un consortium regroupant IPS, ABB et EDF. Cette centrale mise en service en 1997 à Azito, dans la commune de Yopougon, en bordure de la ville d’Abidjan, est alimentée par le gaz extrait au large de la côte ivoirienne. Le financement du projet a été assuré à hauteur de 68 milliards de francs CFA (environ 100 millions d’euros) par les membres du consortium, mais aussi par des emprunts contractés auprès de banques privées comme la Société générale et d’institutions financières internationales telles la Banque mondiale ou la SFI comme le montre le diagramme ci-dessous.
IPS est la filiale ouest-africaine du Fonds de l’Aga Khan pour le Développement économique (AKFED) déjà très actif en Côte d’Ivoire depuis des décennies, la société helvétiquo-suédoise ABB est un des leaders mondiaux dans les systèmes de production d’énergie et EDF, Électricité de France, est la société française qui alimente la majorité des consommateurs de l’hexagone. Dans le cadre d’un contrat BOT (build, operate, transfer), la population ivoirienne est assurée pendant 25 ans d’une fourniture d’énergie sur une base fixe, révisable en fonction du cours du gaz qui fait tourner les turbines, sans que l’État ait eu à investir le moindre centime.
En République démocratique du Congo, les politiciens n’envisagent que timidement de privatiser les nombreuses sociétés d’État qui sont des gouffres pour les caisses du pays. Évidemment, les autorités préfèrent avoir sous la main des entreprises, véritables « pompes à fric », qui alimentent leurs poches personnelles ou leurs partis politiques. Et demander à la coopération internationale de financer la remise en état de leurs centrales hydroélectriques existantes comme celle de la Tshopo à Kisangani dont je vais m’occuper dans les prochains mois. Cette centrale construite dans la première moitié des années 50 sur un affluent du fleuve Congo sera réhabilitée en deux ans pour assurer une fourniture d’énergie adaptée aux besoins de la troisième ville du Congo. Les réseaux de distribution seront remis en état et de nouveaux réseaux seront créés pour améliorer les conditions de vie de la population qui devra prendre l’habitude de payer son électricité. D’après les statistiques de la SNEL, société nationale d’électricité, seuls 30 % des factures de la ville de Kisangani sont actuellement honorés. Des compteurs à prépaiement seront donc installés pour remédier à cette perte de ressources du producteur.
Comme l’écrit très justement l’économiste zambienne Dambisa Moyo dans "L’aide fatale", « L’Afrique a beau être au centre de l’univers sur la carte (sa proximité des centres industriels d’Europe et d’Amérique est enviable), le transport des marchandises sur des fleuves non navigables, des ponts infranchissables et des routes criblées d’ornières exigent des délais trop longs. De plus, c’est une évidence, aucune entreprise visant le profit ne peut se permettre de baser l’organisation de sa production sur un réseau électrique et de télécommunications aussi peu fiable ». Par exemple, lorsque j’ai dû expédier ma voiture de Bruxelles à Kinshasa, cela m’a couté mille euros de transport maritime entre Anvers et Matadi, à l’embouchure du fleuve Congo. Mais pour sortir du port de Matadi, en exonération de taxes heureusement, et transférer ma voiture par la route vers Kinshasa – 365 km – j’ai dû débourser la même somme !
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