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Jeudi 7 juillet, 9 h 35. J’embarque avec Blandine à bord du Boeing 727 de la compagnie Hewa Bora à destination de Kinshasa. Cet ancien appareil de la Lufthansa a été racheté par Stavros Papaioannou, ancien pilote d’origine grecque, après avoir servi d’avion personnel au feu président du Togo Gnassingbé Eyadema. Il est piloté par le commandant Mestry, un métis congolais qui affiche un nombre d’heures de vol respectable. Je pensais emprunter le vol de Kenya Airways qui nous aurait emmenés en Europe via une courte escale à Nairobi. Cela nous aurait évité de passer par l’aéroport de Ndjili à Kinshasa qui est toujours aussi déplaisant malgré le travail effectué pendant plus d’une année par une équipe de spécialistes français. Malheureusement, depuis quelques jours, cette excellente compagnie africaine, dûment enregistrée par les instances de l’IATA, a suspendu ses liaisons bihebdomadaires vers Kisangani, officiellement par manque de rentabilité, mais officieusement à cause des tracasseries de l’administration congolaise…
Je dois donc prendre un avion d’une compagnie qui figure sur la liste noire de l’Union européenne pour rejoindre la capitale de la RDC et embarquer le lendemain soir à bord de l’Airbus de Brussels Airlines. Je profite de ma journée de vendredi à Kinshasa pour revoir mes collègues de la CTB, saluer certains amis et assurer le préenregistrement de mes bagages en centre ville. Brussels Airlines ainsi qu’Air France facilitent en effet la vie de leurs passagers en enregistrant leurs bagages en début d’après-midi dans un local spécialement aménagé en bordure du boulevard du 30 Juin. Le but est d’éviter la pagaille de l’aéroport de Ndjili et de se présenter une heure avant le départ déjà muni de sa carte d’embarquement.
À peine sorti des bureaux de la compagnie aérienne belge, j’apprends qu’un avion s’est écrasé à l’atterrissage à Kisangani. Je saute sur mon GSM pour appeler un collègue resté dans le chef-lieu de la province Orientale. Il me confirme qu’une forte tempête s’est abattue sur la ville et que le Boeing 727 d’Hewa Bora s’est écrasé à côté de la piste. Il s’agit de l’avion à bord duquel j’étais la veille dans l’autre sens. Les appels ne cessent d’arriver, car des amis ignorant que j’étais à Kinshasa viennent aux nouvelles, l’information s’étant propagée à la vitesse de l’éclair. Que s’est-il passé réellement ? Une fausse manœuvre du pilote, un incident technique, une erreur de la tour de contrôle ? Tout est possible dans ce pays, royaume du laxisme et où tout s’achète, depuis le permis de conduire – il suffit de payer 50 dollars pour obtenir un permis poids lourds… — jusqu’au diplôme universitaire. Ce n’est que trois semaines plus tard, de retour à Kisangani, que je commencerai à avoir quelques éclaircissements sur cette catastrophe qui a entraîné la mort de 83 personnes.
Depuis la veille au soir, le mauvais temps régnait sur la ville de Kisangani et c’est en pleine tempête tropicale que le 727-200 immatriculé 9Q-COP a essayé d’atterrir sur l’aéroport de Bangboka situé à 17 kilomètres de la ville au milieu de la forêt équatoriale. À la tour de contrôle, ne se trouvaient qu’un simple stagiaire et un agent de la Régie des voies aériennes (RVA) dont la licence a expiré. Ils ne disposaient d’aucune prévision météorologique locale fiable, car leur radar météo ne fonctionne plus et ils n’avaient sous les yeux qu’une carte satellitaire indiquant qu’un orage de grande violence recouvre la région. De plus, la balise de piste (VOR), qui sert en cas de mauvaise visibilité, est défaillante, les radars primaires et secondaires ou les aides visuelles d’approche (VASIS) sont en panne. Les pilotes ne pouvaient se fier qu’à leur expérience pour effectuer une approche à vue en se basant sur la liaison radio VHF avec la tour de contrôle. La sagesse aurait recommandé de fermer l’aéroport et de faire tourner l’appareil en rond, car les tornades ne durent jamais longtemps, ou de le dérouter vers une autre piste comme celle de Buta ou de Kindu. Voire même de lui proposer d’aller jusqu’à sa destination finale de Goma pour revenir à Kisangani une fois l’orage passé.
Les aéroports de la RDC sont dans un état lamentable et on peut se demander à quoi sert la taxe dite go pass de 10 dollars que chaque passager doit payer à la Régie des voies aériennes avant d’embarquer sur un vol national ou de 50 dollars sur un vol international. Certainement pas à assurer la sécurité des avions, car les compagnies Air France et Brussels Airlines ont dû installer à Kinshasa à leurs propres frais les aides visuelles d’approches pour leurs atterrissages nocturnes. Par contre, la RVA a construit un splendide pavillon d’accueil présidentiel à Ndjili pour 30 millions de dollars…
Négligeant les précautions élémentaires, les contrôleurs aériens ont autorisé l’atterrissage malgré les réticences du commandant Mestry qui a mal estimé les données météorologiques. La suite était inéluctable : l’avion déséquilibré par le vent violent heurta un bâtiment et alla terminer sa course dans la forêt à 500 mètres de la piste. L’endroit est vallonné et difficile d’accès, et de plus l’agent du service incendie n’avait pas la clé de son véhicule de secours… Le véhicule va finalement aller s’embourber et ne pourra pas atteindre l’épave en feu. Les militaires du contingent bangladeshi de la MONUSCO ainsi que le détachement de la Force aérienne belge basé à l’aéroport se dirigèrent difficilement sous la pluie battante et dans la boue vers les lieux pour retirer des décombres les quelques rescapés. Seuls 37 blessés graves — dont certains ne survivront pas — sur les 112 occupants de l’appareil seront évacués vers le centre médical de la MONUSCO et les hôpitaux de la ville. Parmi les rescapés, le mari d’une de nos secrétaires de Kinshasa.
Le CICR, Comité international de la Croix-Rouge, et MSF-B, Médecins sans frontières Belgique, avertis de la catastrophe se rendirent aussi vite que possible sur les lieux, contrairement à ce qu’un militaire a déclaré à un journal belge. Ils mettront deux heures pour atteindre l’aéroport, temps nécessaire pour mobiliser leur personnel et rassembler leur matériel. Ils travailleront jusqu’à minuit pour reprendre leur tâche macabre dès le lendemain matin à l’aube. Ces deux organismes transfèreront dans leurs véhicules les blessés vers les cliniques universitaires où les médecins devront utiliser des lampes torches par manque d’électricité. Ils emmèneront les morts après les avoir photographiés, fouillés pour découvrir une pièce d’identité et enveloppés dans des sacs linceuls appropriés. La morgue de la ville ne fonctionnant plus évidemment, les corps seront rapidement inhumés. Les blessés les plus graves seront transférés par un avion mis à la disposition par le président Kabila vers Kinshasa qui dispose de structures plus adaptées, malgré les indications contraires des médecins locaux. Quatre d’entre eux décèderont d’ailleurs durant leur transfert vers la capitale.
Pendant que les secours s’efforçaient d’éteindre les flammes et de sauver les rescapés, des militaires et des policiers congolais dépouillaient les cadavres malgré la présence de militaires bangladeshis de la MONUSCO. Trois soldats et un commissaire de la police des frontières seront arrêtés et déférés devant l’auditeur militaire de Kisangani. Ils sont accusés d’avoir volé des bijoux, des sacs à main, des habits et plus d’un million de dollars en liquide. Un homme d’affaires connu transportait en effet sur lui 800000 dollars – chose courante en RDC où le système bancaire est quasi inexistant – et même un évêque d’un diocèse de la région s’est vu délesté des 10 000 dollars qu’il convoyait pour une congrégation religieuse. Ces militaires ont été repérés, car quelques jours après l’accident, ils ont fait des dépenses extravagantes en achetant du mobilier ou des appareils de télévision. L’archevêque de Kisangani, Mgr Marcel Utembi, a demandé, dans une lettre pastorale lue le dimanche 17 juillet dans toutes les paroisses, à toute personne possédant des biens des victimes de les restituer.
Sur le plan technique, la commission d’enquête vient, dans un rapport intermédiaire, d’énoncer la succession des causes ayant causé l’accident : le pilote qui a mal apprécié les données météorologiques, la compagnie Hewa Bora qui utilise un pilote certes expérimenté, mais non qualifié pour ce type d’avion et qui ne se serait plus entraîné sur simulateur depuis 2009, la Régie des voies aériennes qui a communiqué des informations erronées au pilote et qui emploie du personnel sans licence, le manque de plans de sûreté dans les aéroports, l’Autorité de l’aviation civile qui a accordé l’autorisation de vol à un appareil modifié au mépris des règles en vigueur... Bref, tout le monde est responsable ! La rumeur prétend aussi que le pilote était fatigué, non payé depuis trois mois et qu’il n’avait pas, par dépit, préparé le vol. Les boîtes noires de l’appareil ont été récupérées par les autorités et permettront l’établissement du rapport final, mais la bande magnétique qui enregistre les conversations de la tour de contrôle a bizarrement disparu… La seule décision prise à ce jour par le ministre des Transports a été d’interdire de vol tous les avions de la compagnie Hewa Bora. Et pourtant c’était certainement une des moins mauvaises compagnies nationales, la seule à relier Johannesburg plusieurs fois par semaine. Elle avait même obtenu, il y a quelques années, le droit d’atterrir à Bruxelles. Les deux contrôleurs de la tour de contrôle et l’agent du service incendie de l’aéroport, eux, ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête.
Kisangani devient de la sorte de plus en plus enclavée, car une unique compagnie désert désormais la ville, après l’arrêt de Kenya Airways. Si cela continue, je vais réclamer à ma hiérarchie d’acheter une pirogue à moteur pour me permettre de rejoindre Kinshasa !
Cet accident est à rapprocher de celui de l’avion de la MONUSCO - les forces de l’ONU en RDC - qui s’est écrasé sur l’aéroport de Kinshasa-Ndjili le lundi 4 avril 2011 à 14 h. Là aussi, les conditions météorologiques étaient mauvaises : la pluie tombait abondamment et le vent était violent. L’équipage d’un appareil canadien de type Bombardier CRJ-100 n’a pas respecté les consignes de ne pas atterrir données par la tour de contrôle. Bilan : 32 morts et un seul survivant.
Les conditions météorologiques sont souvent la cause des accidents en Afrique où les tornades sont extrêmement intenses. Je me souviendrai toujours d’une escale à Douala, au Cameroun, au début de l’année 2007, où le commandant de bord de l’Airbus de Brussels Airlines annonça à ses passagers que les conditions météorologiques ne lui permettaient pas de décoller de façon sure. Certains de mes voisins étaient passablement irrités de ce retard, mais nous avons pu décoller en toute quiétude et atteindre Kinshasa sains et saufs. Malheureusement, quelques semaines plus tard, au même endroit, dans les mêmes conditions, dans la nuit du 4 au 5 mai, l’équipage d’un Boeing 737-800 de Kenya Airways n’eut pas la sagesse de patienter malgré les réserves émises par la tour de contrôle. La forte pluie tropicale et les vents violents déséquilibrèrent l’avion peu après son décollage et celui-ci s’écrasa à quelques kilomètres de l’aéroport entraînant 114 personnes dans la mort.
Les projets de créer une compagnie fiable en RDC ne manquent pourtant pas. Déjà en octobre 2007, Brussels Airlines avait tenté de mettre sur pied avec Hewa Bora Airways un joint-venture appelé AirDC qui aurait dû voler dès le début 2008. En décembre 2009, Brussels Airlines annonça l’abandon de ce projet, pour lequel deux avions BAe 146-200 étaient prêts, au profit d’une nouvelle compagnie dénommée Korongo Airlines dont le nom signifie « oiseau migrateur » en swahili. Cette compagnie, basée à Lubumbashi, a été officiellement enregistrée le 13 avril 2010 avec pour partenaires une holding regroupant Brussels Airlines et Georges Forrest à hauteur de 70 %, des investisseurs congolais détenant 30 % du capital. Mais à ce jour, la nouvelle compagnie attend toujours le feu vert des autorités congolaises pour importer un Boeing 737-300 et un BAe146-200, par suite des pressions des compagnies locales qui craignent de ne pas être à la hauteur devant cette compagnie disposant d’un certificat de transport aérien (AOC) belge. En attendant, les citoyens congolais sont toujours contraints de voler dans des « cercueils volants » ou d’emprunter la seule compagnie plus ou moins fiable, la CAA, dont les avions sont archipleins.
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